Parcourir huit mille kilomètres pour rencontrer des chamans en Mongolie, c’est réaliser un rêve, répondre à l’appel de l’âme. Voyager dans ces contrées, loin de tout et si proches de l’essentiel, ce n’est pas seulement changer de pays ni même de continent, c’est changer de dimension…

FRAGMENTS D’IMPRESSIONS D’UN VOYAGE HORS DU TEMPS

Départ le 14 août au matin. Au programme, huit heures de vol avec une escale à Moscou. Le groupe que j’accompagne est composé de trente personnes. Pour certains, il s’agit du voyage d’une vie. Un séjour attendu et préparé depuis longtemps, même si beaucoup n’ont pas une idée précise de ce qui peut les attendre. L’appel de l’âme est authentique, intact.

Je m’interroge. Alors que tant de destinations proposent un grand confort, alors qu’il est si commode de partir en vacances sur des plages de rêve, dans des décors riches et somptueux, qu’est-ce qui peut nous pousser à partir à l’autre bout du monde pour rencontrer l’immensité des steppes ? La sobriété, la rudesse, l’essentiel, la solitude ? Le confort du voyage sera sommaire, nous le savons et j’ai prévenu le groupe. Nous ne séjournerons dans aucun établissement hôtelier, nous nous reposerons en bivouacs, parfois sous la toile de tente, parfois chez les éleveurs nomades, dans les yourtes. Il nous faudra nous passer de sanitaires. La météo est plus qu’aléatoire. La Mongolie connaît des températures de – 40° à + 30° parfois à quelques semaines d’intervalle. Mais rien ne semble fragiliser la motivation des participants. L’agence et moi avons dû refuser plus de soixante personnes pour ce voyage, tant la destination et le programme proposé semblent répondre à des besoins intimes, spirituels ou sacrés.

15 août : arrivée à Oulan Bator, capitale de la Mongolie. Depuis quelques années, le fief de Gengis Khan vit le même sort que tant de capitales mondiales. Les traditions ancestrales se perdent au profit d’une société de consommation aveugle. Le gouvernement pousse les nomades à abandonner leur mode de vie itinérant pour se rapprocher des villes, peut-être pour mieux les contrôler. Pourtant, beaucoup de sages rencontrés nous le rappelleront, la sobriété et le nomadisme ancrés depuis des siècles sont les piliers de leur société. Dans les villes modernes, nous sommes trop nombreux, trop serrés, les gens se vampirisent, s’exploitent et adoptent des comportements toxiques tant en termes de consommation que de vie commune. Cette vie urbaine et sédentaire est à la source de nombreuses maladies. L’homme a besoin de nature et d’espace pour vivre équilibré et en bonne santé. Il a besoin non pas de dominer cette nature, mais de se laisser bercer par elle et d’apprendre à la respecter. Car en respectant la nature, c’est sa propre nature qu’il honore.

La Mongolie, c’est un pays d’un million et demi de kilomètres carrés enclavé entre la Russie au nord et la Chine au sud, avec trois millions d’habitants, soit une densité de deux habitants au kilomètre carré. Ici, la notion de propriété privée n’existe pas. On se déplace, on se rencontre, on s’entraide. Les troupeaux de chevaux, de chèvres et de moutons parfois de plusieurs milliers de tête vivent en liberté. Les Mongols changent de camp quatre fois dans l’année. Leur mode de vie n’a presque pas évolué depuis ces derniers siècles. Si ce n’est quelques panneaux solaires ici et là, on se chauffe encore dans les yourtes avec les bouses séchées et on se nourrit de ce que nous offre directement la terre.

Les premiers jours, nous visitons les sites de Khogno Khan, puis à Karakorum, nous nous rendons vers le monastère Khogno Tarniin Ovgôn, à près de deux mille mètres d’altitude, plus communément appelé monastère « Ovgôn ». Nous prenons un peu de temps pour méditer et nous promener dans les environs avant de visiter le monastère d’Uvgun.

Je me sens tout de suite à l’aise avec ces sites. J’y retrouve la culture tibétaine que j’ai tant fréquentée pendant des années. Je ressens entre le chamanisme mongol et le bouddhisme tibétain plus de points communs que de différences. Le bouddhisme tibétain s’est étendu jusque dans les plaines mongoles. J’y retrouve dans les monastères les mêmes divinités, Tchenrezig, Tara, Tchadroupa, Tsumarpo, Sangye Menla. Dans les deux cas, l’homme plonge dans les profondeurs de son être et dans les profondeurs du monde pour recouvrer sa lumière. Dans les deux cas, l’homme est confronté aux rigueurs du climat et vit très proche des dieux. Dans toutes les yourtes, on trouve de petits autels, une offrande, une statue…
« Si tu veux te connaître » disait Pierre Teilhard de Chardin, « pars au bout du monde. Si tu veux connaître le monde, plonge au cœur de toi. »

Le 5e jour, nous rentrons plus en profondeur dans les pleines steppes de Mongolie centrale. Nous sommes accueillis par une famille nomade dans un endroit magique, le Tsagaan sum. L’horizon y est rompu par un rassemblement de yourtes, des troupeaux de yaks, de chevaux, de chèvres, de chameaux… Après le désert de Gobi, la Mongolie centrale et ses forêts de mélèzes, ses fleuves, ses monastères et ses collines de sable nous donnent un sentiment de liberté inexprimable. Nous dînons et passons la nuit sous la yourte. Le confort est aussi sommaire que l’accueil est chaleureux. Nous dînons chez les éleveurs nomades. Ici, la nature nous offre des sources chaudes thermales qui jaillissent directement de la terre. Je regarde le décalage de civilisation. Nous sommes trente étrangers dans une visite improvisée et nous sommes invités spontanément au cœur de la yourte pour recevoir tous les signes de bienvenue par cette famille d’éleveurs. Leçon de simplicité.

Six chamans nous accompagnent désormais. Ils nous ont rejoints au fur et à mesure que nous nous enfoncions dans les steppes. Ils nous observent dans notre quotidien autant que nous les observons. Pour les chamans, la terre est sacrée, comme le sont le feu, les lacs, les forêts. Ils lui rendent hommage au long de la journée à travers différents rituels et offrandes comme ils rendent hommage au vivant. Beaucoup trouvent les Mongols durs. Ce sont des guerriers souvent bruts. Le mode de vie mongol forge les caractères. Depuis la naissance jusqu’à trois ans, les enfants sont couvés pour développer la confiance en eux. Ils sont au centre de toute attention. De trois à six ans, ils trouvent leur place dans le groupe, ils se familiarisent avec les animaux, ont une petite tâche dans le foyer : aller chercher du bois, accompagner les animaux, monter à cheval. Cette mission se renforce entre six et neuf ans. Les enfants apprennent tôt à être autonomes, à traire les brebis, à accompagner les vaches. Ainsi, à dix ans, ils doivent pouvoir survivre en milieu hostile. Ils sont capables de partir pendant des heures pour retrouver des bêtes égarées. Un enfant rencontré dans une famille nomade nous raconte comment, à douze ans, parti chercher des moutons égarés, il s’est perdu une journée entière dans les steppes, confronté à rudesse de l’environnement.

LES PREMIERS RITUELS

Depuis le départ, nous avons bien expliqué notre démarche aux chamans. Il n’est pas question pour nous d’assister à des rituels en spectateurs, mais de venir ici pour avancer sur notre propre chemin, de renforcer nos propres pratiques en nous inspirant de pratiques millénaires. Nous cherchons la rencontre, les ponts, les points communs et l’esprit de cocréation. Har Sono, jeune chaman et chef du groupe de chamans, comprend très bien notre démarche et y souscrit tout à fait. Nous passons deux soirées à parler de nos pratiques, à rencontrer nos esprits. Ils nous offrent des massages et vont appeler leurs oracles.

Lorsque le chaman appelle son oracle, il rentre dans une forme de transe courte au son de son tambour. Il est porté par son costume réalisé pour l’occasion et appelle l’esprit à l’incorporer. Il devient alors le relayeur, celui qui transmet l’oracle des esprits. L’oracle d’Har Sono nous est présenté comme celui d’un guerrier du 13e siècle. Les informations qu’il nous révèle sont très impressionnantes. À Sandrine, il révèle qu’elle a une tache brune dans le bas du dos (ce qu’elle confirme), et que cette tâche est le signe d’une vie passée en Mongolie. À Nadège, il révèle l’origine d’une maladie. À Jérôme, il parle d’un frère avec qui la relation est conflictuelle. Les chamans opèrent également à différentes guérisons. Révéler par le biais des oracles, apporter des soins, protéger et asseoir les bases d’une relation harmonieuse avec les esprits de la nature sont l’essentiel des voies du chaman.

Jour 8 : nous nous installons en bivouac solitaire en plein milieu des steppes verdoyantes pour commencer notre séjour chamanique. Notre programme de la journée est dirigé par les chamans eux-mêmes, qui nous emmènent visiter le Monastère Tuvkhni, niché en pleine forêt. Le soir, nous passons la nuit au milieu des arbres, loin des structures touristiques. Les repas sont préparés au feu. Pendant ces trois jours, dans les lieux sacrés d’un parc naturel de toute beauté, logés dans une tente, nous expérimentons des cérémonies, des consultations individuelles, des exercices chamaniques. De mon côté, je transmets des postures, des exercices pour renforcer l’ancrage, la stabilité et développer l’intuition. Les enseignements, pratiqués au quotidien, permettent d’accéder à la sagesse chamanique universelle. L’opportunité d’accéder à ces connaissances nous permet de changer la vision que nous avons de nous-mêmes. Har Sono et Tenger Huu avec les quatre autres relayeurs nous témoignent de leur sagesse traditionnelle.

Grand-Mère Ayangat vient rejoindre le groupe. Elle est le chef spirituel des chamans de l’association mongole Tenger Unen (union des traditions ancestrales qui œuvrent pour l’unification des peuples traditionnels).

Une connexion très forte s’établit immédiatement entre nous. Je la reconnais comme une sœur, tant sont proches nos pratiques et nos vibrations. Elle fait preuve de beaucoup d’humilité malgré sa grande expérience. Nous parlons de longues heures avec le groupe de son parcours, de l’évolution du chamanisme, de l’état du monde.

Les chamans continuent à nous offrir de grandes pratiques et leurs oracles au fil des jours. Chacun reçoit des informations importantes. Dans le même temps, je complète l’accompagnement de chacun avec mes outils, les tarots, les lectures intuitives que je donne sous la yourte. La nature complète cette initiation. Les grandes marches le long de la rivière, les méditations sur les sommets.

Je reçois les oracles de Grand-Mère. Je suis surpris de son humilité. Elle m’invite à m’asseoir au milieu d’eux pour jouer du tambour avec les six chamans. Elle me reconnaît comme chaman et me le dit. Quelques jours plus tard, elle officialisera cette reconnaissance en me proposant de chamaniser avec eux. J’offre un chant pour la terre, elle nous gratifie d’un chant de bienvenue. Les belles rencontres sont toujours simples.

Je propose aux chamans de nous accompagner dans une pratique clé : le recouvrement d’âme. Ce rituel est essentiel notamment dans le druidisme. Il s’agit, au son du tambour, de retrouver toutes les parties de nous qui sont dispersées dans différentes dimensions. Nos attachements au passé, nos manques, nos différentes projections. C’est cet éclatement qui donne à beaucoup la sensation qu’il leur manque quelque chose. Les personnes du groupe sont allongées. Je guide la visualisation au son de mon tambour tandis que Grand-Mère Ayengat évolue dans l’espace au son de sa guimbarde. Quatre chamans mongols sont assis aux quatre points cardinaux. Ils assurent la sécurité et l’équilibre énergétique du groupe. Ce rituel sera essentiel pour la suite du travail. Beaucoup de participants vont vivre de grandes révélations et guérisons. Pour les chamans et moi, c’est une occasion nouvelle d’associer des méthodes thérapeutiques ainsi que des pratiques de développement personnel occidentales avec des rituels chamaniques millénaires. Je crois autant que les pratiques chamaniques ancestrales gagnent à se moderniser en s’appuyant sur les nouvelles découvertes des neurosciences et de la physique quantique que je crois que notre approche thérapeutique et de développement personnel gagnerait à s’ouvrir davantage aux pratiques et rituels issus de nos traditions ancestrales. Nous échangeons de longues heures et nous nous réjouissons de cette discussion.

D’autres rencontres fortes ponctuent ce voyage. Des chamans et des éleveurs. Nous pouvons confronter nos modes de vie. Les éleveurs vivent avec si peu de choses. La famille est au centre de l’équilibre. Le soutien, le respect, sont plus que des mots, le partage est la clé de leur structure. S’ils vivent à plusieurs dans des yourtes si petites, ce n’est pas uniquement parce qu’elles sont plus faciles à chauffer. C’est surtout parce que toute l’année, face à la rudesse des grands espaces, ils prennent plaisir à se retrouver comme des ours dans une grotte. Nous parlons beaucoup de la nécessité de nous rendre plus forts par des pratiques en extérieur et un meilleur contact avec la nature. Ici, aucun doute, les enfants sont bien plus naturellement immunisés que chez nous.

Le voyage continue son cours en alternant les rencontres avec les nomades au fil des étapes et les pratiques chamaniques. Pour terminer le séjour, nous réalisons une pratique d’offrande pour les esprits de l’eau. Chacun partage la veille des offrandes à partir de ses traditions. Multitradionnel de nature, je prépare des torma tibétaines et des offrandes celtiques. Le lendemain, nous créerons un rituel très puissant de nettoyage de nos ombres. J’allume un feu sacré auquel nous offrons le benjoin, le santal, la sauge et les encens des cinq continents.

Resteront dans mon esprit le feu et le partage des offrandes, l’image des chamans pénétrant le lac, chargés de leurs lourds costumes de peaux.

Il y a deux ans est sorti mon livre « Réveillez le chaman qui est en vous ». Une invitation à développer par nous-mêmes notre intuition, notre contact avec les éléments, notre immunité. Grand-Mère Ayengat tient à ce que Meg, notre interprète, traduise les chapitres de ce livre. Je lui confie mon approche qui s’inspire du bouddhisme tibétain, des arts martiaux, de la méditation et de différentes formes de chamanisme. Elle m’offre l’un de ses livres, écrit en trois mois dans une forme de transe. Un trésor.

À la fin du séjour, Grand-Mère et moi décidons de prolonger notre collaboration. Elle m’invite à la rejoindre et me propose de venir en France avec deux chamans en janvier. Nous évoquons également les différentes aides que nous pouvons établir, dont la création de ponts pour permettre aux nomades de traverser la rivière en des endroits précis. Nous décidons spontanément de créer une association en ce sens.

Se rencontrer, échanger ses expériences, explorer. Je continue à œuvrer de toute ma force pour permettre à ces objectifs de voir le jour ; à faire en sorte que tombent les a priori que nous pouvons avoir sur la magie, le chamanisme, la spiritualité, la science, pour simplement apprendre à devenir des êtres mieux établis dans notre humanité, c’est-à-dire dans notre trinité.

Mieux établis dans notre corps physique.

Mieux établis dans un cœur ouvert.

Mieux établis dans un esprit relié au sacré de l’existence.

Je crois que c’est cette posture qui contribuera à l’équilibre dont nous avons tant besoin sur la terre.