Est-il sage de sacrifier nos libertés individuelles au nom de la sécurité ? Contrôles, vérifications, interdictions de se réunir, de manifester… Est-ce le prix à payer pour sécuriser notre territoire ?

Liberté ou sécurité ? Et si la question était posée à l’envers ? Et si, pour se sentir sécurisé, on devait d’abord réapprendre à être libre ?

Aujourd’hui, lorsqu’on les interroge, 85 % des Français se disent prêts à sacrifier en partie leur liberté individuelle pour être plus sécurisés.

« Doit-on être moins libre pour avoir moins peur ? »

Deux anecdotes… Vendredi soir, à Paris une quarantaine de CRS intervenaient pour une opération quasi militaire. Un petit commando d’altermondialistes potentiellement dangereux venait d’être signalé se rendant vers la Bastille. Plan d’urgence, cordon de CRS. Arrivée sur place, la police interpella quatre ou cinq jeunes sur des vélos. L’un jouait de l’harmonica, l’autre du tambour. Ils revenaient de la COP 21 en chantant… Probablement un voisin avait-il eu peur, ne s’était-il pas senti sécurisé. Les jeunes furent entendus et libérés, bien que choqués par le décalage des moyens appliqués au danger réel de ces joyeux lurons. Ici, la consigne a été appliquée à la lettre. On ne prend aucun risque, nous sommes en état d’urgence.

Ce vendredi soir là, j’étais moi-même à Lyon. Je revenais d’animer un stage et j’attendais mon TGV prévu à 19 h. Quelques annonces résonnèrent dans la gare sans que personne n’y prête vraiment attention : « Le voyageur qui a oublié un sac à dos Hello Kitty rose est invité à se présenter ». Ici aussi, un plan d’urgence fut déclenché. Le sac rose oublié devenait suspect. Il fallait sécuriser. La gare fut évacuée, il fallut attendre les démineurs, protéger les lieux, faire sauter le sac… En moins d’une heure, nous étions probablement plus de dix mille personnes contenues sur la place de la Part-Dieu… Dix mille personnes serrées, coincées ; peut-être les mêmes que celles à qui on interdisait de se rassembler quelques jours plus tôt. Certains prenaient la situation avec humour, chantaient et dansaient. À d’autres endroits la foule était si compacte et la tension tellement palpable qu’un autre drame aurait pu arriver… avec ou sans terroristes. Avec ou sans armes…

Devait-on faire évacuer la gare ? Les policiers, les agents SNCF n’ont fait qu’appliquer la consigne. Un agent avec qui je sympathisais me confiait : « Imaginez qu’il y ait eu une bombe et qu’on n’ait pas réagi… Qu’aurait-on dit ! En cas de colis suspect, on évacue, c’est la procédure ». Dans cette chaîne de cause à effet, le mécanisme est parfaitement huilé. Le chef de l’État décrète l’état d’urgence, le gouvernement nomme des experts, les experts désignent des directeurs, les directeurs établissent des procédures et donnent des ordres aux agents, les agents appliquent les procédures.

Depuis quinze jours, les consignes se multiplient pour renforcer la sécurité nationale. Nous sentons-nous pour autant davantage sécurisés ?

Le sentiment de sécurité n’est pas proportionnel à la sécurisation de l’environnement. On peut se sentir serein dans un endroit qui est dangereux ou qui peut le devenir, comme on peut se sentir menacé dans un endroit paisible.

Lorsque j’emmène des groupes dormir en forêt ou dans le désert, beaucoup ont peur la nuit tombée de rencontrer des animaux, des rôdeurs. Que leur répondre ? Doit-on monter des clôtures autour de leur sac de couchage ? Où vivre en conscience l’expérience pour réaliser que le véritable danger n’est pas à l’extérieur de soi.

Pour ma part, je préfère développer le calme intérieur et la méditation. C’est ainsi que je me sens moi-même, plus confiant en toutes circonstances. Car, à mes yeux. C’est avant tout de l’intérieur que naît notre sentiment de sécurité, pas de l’extérieur. Ce sentiment se développe ensuite autour de nous, mais prend sa source dans notre cœur. C’est donc de notre cœur qu’il faut commencer à nous occuper si nous voulons être sécurisés. Lorsque nous nous sécurisons de l’intérieur, nous avons moins peur, de l’autre, de l’inconnu, de l’inconfort, de l’imprévu.

Nous sommes chacun la meilleure personne pour nous sécuriser ; car le sentiment de sécurité est avant tout un sentiment intérieur. Une fois installé, ce sentiment se diffuse, se transmet à travers nos actes et nos paroles. Nous contribuons à entretenir un climat de paix.

Alors doit-on accepter de sacrifier nos libertés individuelles au nom de la sécurité ?

Dès que je médite, la question elle-même m’amuse et me semble hors de propos.

Demander à ce qu’on respecte notre liberté, c’est n’avoir rien compris à ce qu’est vraiment la liberté. On n’est pas libre parce qu’on est autorisé à l’être ! On est libre parce qu’on le décide ; parce qu’on fait quotidiennement le chemin intérieur pour le devenir. La liberté est comme le respect, elle naît de l’intérieur. De la même façon que c’est en se respectant soi-même qu’on se fait respecter, en s’aimant soi-même qu’on est aimé, c’est en prenant conscience de la nature des barreaux de la véritable cage qu’on se libère.

Demander à un autre de nous libérer, c’est demeurer toujours dépendants du libre arbitre d’un autre… Et ainsi, ne jamais goûter au réel et profond sentiment de liberté. C’est pourquoi certains se sentent parfois prisonniers en démocratie quand d’autres se sont montrés libres dans une dictature.

On est libre lorsque l’on se libère de nos propres conditionnements, de notre propre enfermement. La liberté est comme le sentiment de sécurité. Elle naît de l’intérieur. Par une respiration profonde, par le sens du discernement, de l’introspection ; par un entraînement constant à la confiance en soi, on développe le véritable sentiment de liberté. Celui qui ne peut être ni abrogé, ni réfuté, ni limité. C’est une autre voie, qui demande autrement plus de courage, d’engagement, d’honnêteté de patience et de foi.

En ce sens, à mes yeux, Nelson Mandela n’a jamais été totalement prisonnier. Les années d’enfermement subies n’ont pas affecté l’homme libre qu’il n’a jamais cessé d’être. Aucune geôle, aucune torture, aucune privation de liberté n’ont réussi à affecter sa foi en l’homme et en l’humanité. Mieux, peut-être : ses années de prison ont renforcé sa détermination et la force de sa personnalité lumineuse. C’est parce qu’il a maintenu son esprit libre et son cœur intègre derrière les barreaux qu’il est devenu le symbole de l’Afrique libre et qu’il a conduit son peuple vers la liberté.

Ce qui peut nous enfermer aujourd’hui, ce ne sont pas tant les lois, les interdictions, les consignes, ni même un état policier. Bien sûr, ceux-ci peuvent être douloureux et nous déstabilisent en surface. Je ne souhaite pas que ces libertés fondamentales difficilement acquises ici et là soient affectées aujourd’hui. Elles sont nécessaires à la démocratie et à l’évolution de notre société. Mais, profondément, ce qui peut nous enfermer, c’est notre peur, nos conditionnements, notre manque de foi en l’homme et en l’humanité. Et cette foi en l’homme ne dépend que de chacun de nous.

Nous sommes enfermés lorsque nous croyons ce qu’on nous dit sans prendre le temps de le vérifier.

Nous sommes enfermés lorsque nous laissons notre mental et nos pensées prendre toute la place de notre raisonnement sans laisser notre corps résonner et notre cœur ressentir ce qui est juste.

Nous sommes enfermés lorsque nous réagissons trop vite, sous le coup de nos émotions, de notre peur ou de notre colère.

Nous sommes enfermés lorsque nous refusons de bouger de notre place, de changer de point de vue ; lorsque nous nous rattachons à nos certitudes.

Nous sommes enfermés lorsque notre cœur est trop lourd ; lorsque nous perdons espoir ; que notre propre enfermement nous prive de notre courage.

Qu’est-ce qui peut alors nous délivrer ? Pour les maîtres et les lamas auprès de qui j’ai étudié pendant des années, la méditation est la plus grande voie vers la libération. Le calme intérieur, la qualité de nos pensées, la conscience de notre libre arbitre et de notre véritable nature sont les pas vers la véritable liberté.

Lorsque nous méditons, nous devenons lucides quant au filtre que nous plaçons de nous-mêmes sur notre esprit pour recevoir les informations et les événements. Ce filtre est composé de nos émotions et de nos conditionnements. En étant conscients de ce filtre, nous trions naturellement les informations toxiques ou anxiogènes en toutes circonstances. Nous sommes alors plus inspirés pour être moins réactifs, moins agressifs, et pour nous ressourcer, mais aussi pour poser les actes justes et les paroles justes, même en période de crise.

Jamais nous ne sommes impuissants.

Nous avons chacun le pouvoir de nous libérer de nos propres conditionnements. Par l’entraînement, nous pouvons redonner à notre cœur toute sa vitalité.

Par l’entraînement, nous pouvons conserver la foi, l’enthousiasme, la confiance, le discernement et l’amour de l’autre. Peu importe les méthodes qui nous font du bien. Peu importe les ressources que nous sollicitons…

Pour nous libérer, et maintenir notre cœur en bonne santé, nous pouvons méditer, prier, danser, écrire, prendre les personnes que nous aimons dans nos bras, chanter, aimer… Vivre

alors, vibrants et vivants, nous nous sentons enfin libres ! Totalement libres. C’est de cet état de liberté qui naît de nous-mêmes que peut s’installer notre profond sentiment de sécurité.

Arnaud Riou
6 décembre 2015